MEMOIRE DE MAITRISE DE NATHALIE BENAZRA |
LES ARTS PLASTIQUES
DANS LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS AUTISTES
Un certain rapport au vide chez l’autiste et chez l’artiste,
du moi / peau à la toile crevée
Chapitre II
Arts plastiques et Atelier avec enfants autistes
3
Des moments clefs dans la prise en charge en atelier
Présentation d’enfants et d’adultes autistes
1 - Sous-évaluer et Sur-évaluer
Souvent les acquisitions conséquentes aux apprentissages faits en atelier n'apparaissent pas durant ces derniers. Ce sont leurs répercussions à l'extérieur, par des manifestations plus ou moins repérables par l'entourage qui en sont le signe. D’où l’importance d’un travail en commun pour avoir des échos hors atelier. Les progrès ne sont pas liés aux efforts d’une seule personne mais à ceux du groupe d’intervenants et de l’environnement quotidien comprenant, bien entendu, les parents.
Un des enfants qui venaient à l’atelier, dans l’institution Kfar Shimon, semblait ne pas savoir écrire ni répondre à des exercices de table. Je suppose que c’était aussi pour qu’on le laisse tranquille, mais en insistant de plusieurs manières et avec autorité, j’ai découvert qu’il savait écrire et imiter (il est trop facile de faire celui qui ne sait pas !). Lors d’une séance, je me suis assise à ces côtés, je n’étais disponible que pour lui, sans savoir s’il recopierait ce que j’allais dessiner, j’ai commencé à dessiner ce que je voyais du portrait d’un livre de peintres, un portrait avec lunettes et moustache qu’il fit au fur et à mesure après moi sur une feuille. (Voir photo ci-après)
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J’étais agréablement surprise, il fit de même avec sa signature.
Le fait que bien souvent ils ne réagissent pas, ne nous permet pas d’évaluer comme il se doit les enfants autistes, pire encore, il arrive bien plus souvent que nous les dévaluions !
Une autre enfant, Johannes, avec qui je travaillais le schéma corporel ne semblait pas réagir ni comprendre [quand on lui parlait] ; sachant qu’elle comprenait l’hébreu (langue maternelle), j’ai utilisé cette langue avec elle et j’ai découvert que cette enfant était très réceptive. Un jour, elle prononça même, la syllabe Pè, qui en hébreu signifie bouche, joint au geste orthophonique. Elle communiquait beaucoup avec son corps. Cela aurait pu passer inaperçu, et en effet, il a été statué sur son compte qu’elle ne parlait pas, et qu’elle était dotée d’une moins bonne compréhension qu’elle ne l’avait en réalité ! Il est certain qu’elle ait gardé des bribes d’apprentissage de son pays d’origine. (Voir paragraphe 3 / Johannes ci-après)
Très justement, Henri-Pierre Jeudy1 écrit que prendre le corps au pied de la lettre, c’est l’associer au langage, c’est reconnaître que le corps est langage et que le langage est celui du corps. Cette belle perspective légitime d’une manière implicite que le corps est le lieu de la signifiance parce qu’il est le texte d’où advient le signifiant manquant. C’est ainsi qu’on peut le constater pour Johannes, le langage dépasse la langue : Ici une autre langue, dans d’autres cas, des bruits ou expressions du corps peuvent faire office de langage.
Faire attention à nos jugements hâtifs qui ont tendance à réduire l’autre à une norme.
2 - Violence et souffrance intérieure
Serge
Serge, de Kfar Shimon, est un adulte assez performant qui venait souvent dans l’atelier, non parce qu’on avait jugé que c’était bon pour lui mais parce qu’il était le plus performant et que, c’est bien d’avoir un artiste autiste dans son établissement, et que par ailleurs, il est positif qu’il produise pour d’éventuels cadeaux ou pour décorer l’établissement.
Après cette brève présentation sarcastique, qui représente, bien des institutions, quelques petites anecdotes :
Serge avait des mouvements nerveux du corps qu’il ne contrôlait pas. Quand il n’allait pas bien, il donnait de grands coups sur la table même s’il semblait regretter ses gestes. J’avais instauré avec lui des règles : une classe calme, il l’avait d’ailleurs écrit et accroché lui-même sur la porte de l’atelier, il insistait sur cette phrase comme pour se la rappeler. Mais parfois, il tapait quand même, je n’intervenais qu’oralement. Je lui laissais le libre choix après un long travail de confiance entre lui et moi. Assez vite, il regrettait ses gestes en voyant ma déception. Il comprenait alors bien plus vite la notion de respect que dans n’importe quel autre cours !
Je lui parlais beaucoup, lui parlait parfois avec des phrases toutes faites entendues et enregistrées auparavant ou par écholalie ; quand il s’emportait sans pouvoir se contrôler, je lui répétais que j’étais là pour l’aider, que je pourrais lui tenir les mains pour l’aider à se calmer mais je lui disais qu’il fallait qu’il s’aide aussi lui-même !
- Un jour, très nerveux, se sentant dépasser les limites, il me regarde et me dit aide-moi. Je lui ai pris les mains, on les mit sur la table et l’on s’est calmé, lui comme moi, après de longs monologues car Serge ne disait rien.
Je ne le sanctionnais que très rarement en lui disant de sortir, principalement pour qu’il se retrouve lorsque je sentais qu’il le faisait exprès pour attirer toute mon attention.
- Un autre jour, Serge est arrivé dans l’atelier très perturbé. Il tapait sur la table beaucoup plus fort que d’habitude, il criait par intermittence, il était hors de question qu’il continue son travail précédent et qu’il dérange les autres : Il y avait deux autres adultes dans l’atelier. Je ne pouvais pas m’occuper que de lui. Je lui ai dit que je voyais bien qu’il était soucieux et énervé et que je ne pouvais rien faire tant qu’il ne m’aidait pas à le comprendre. J’ai mis sur la table toutes sortes de matériaux pour lui. Au bout de quelque temps, il opta pour les ciseaux et les magazines et commença à découper. Il découpa presque tous les couples des magazines et les colla. Après cela, nous avons parlé de cette préoccupation qu’il avait déjà manifestée en avançant sa main pour me toucher. Serge était très perturbé par le sexe opposé, à plusieurs reprises, Serge avait avancé la main, m’avait touché rapidement et avait retiré sa main. Je lui avais dit qu’il ne pouvait pas toucher les gens ainsi sans permission, j’ai rappelé mon statut dans le centre et qu’il devait respecter une certaine distance. Il avait besoin de ces explications, de ce cadre. D’ailleurs, à chaque fois qu’il s’approchait, il répétait, comme pour lui-même, ne pas toucher, comment il s’appelle ton ami ? pour que je lui répète de nouveau les règles.
Le collage qu’il réalisa ce jour-là était très à propos. Il n’a jamais dit J’ai besoin d’avoir une petite amie, d’aimer, d’être aimé, il l’a dit autrement à sa façon.
- Un autre jour où nous avions comme projet de décorer l’abri de guerre du centre pour qu’il soit plus guai au cas où nous aurions à y passer quelque temps, Serge devait comme il le désirait dessiner des personnages. Il fit à notre grand étonnement un religieux avec des papillotes devant les oreilles, il le fit tout nu et y dessina même ces parties génitales ; nous avons bien ri puis lui avons demandé de lui rajouter des vêtements et de lui cacher ces parties !
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Cet exercice lui a été donné lorsque j’ai senti que Serge était près.
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Outre ses aspects extraordinaires de présence à l’autre et de partage, Serge était très perturbé parfois même violent.
Aujourd’hui le mystère de l’autisme fascine, cela attire beaucoup de monde qui oublie beaucoup trop vite que ce mystère s’accompagne aussi de souffrance et de violence quotidienne pour certains enfants et parents !
Il ne s'agit pas pour moi de rendre un autiste artiste, l’apprentissage est différent pour chacun, d’exercices de motricité en moyen d’expression, les arts plastiques peuvent être une médiation de réelle progression, d'apprentissage et de mieux être pour la personne autiste, comme pour chacun d’ailleurs.
Un accompagnement suivi est également primordial. Ces deux aspects réunis contribuent inévitablement à un processus de transformation de la personne.
Les Arts plastiques doivent être reconnus comme un réel moyen de communication et une médiation efficace auprès de toutes les populations.
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Notes
1
Cf. Henri-Pierre Jeudy, Le corps comme objet d’art, Armand Colin, 1998.
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Ramkat © 2004