MEMOIRE DE MAITRISE DE NATHALIE BENAZRA



LES ARTS PLASTIQUES
DANS LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS AUTISTES
Un certain rapport au vide chez l’autiste et chez l’artiste,
du moi / peau à la toile crevée


Chapitre II
Arts plastiques et Atelier avec enfants autistes

2
Atelier d’art plastique avec des enfants ou adultes autistes

    Comment décrire la spécificité de ces ateliers, comment parler de l’hypersensibilité de ces enfants, qui impose à chaque instant la juste distance, comment regarder, toucher…Toutes ces précautions qu’il ne peut y avoir dans un atelier classique.

   Il ne s’agit pas d’arriver à l’atelier et de transmettre un savoir et voir de quelle manière l’enfant se débrouille pour être au plus juste de la consigne ou de voir comment il intègre ce savoir pour ensuite exprimer ce qui sort du fruit de son imagination !

   L’atelier auprès d’enfants autistes est beaucoup plus complexe, je vais donc essayer dans ce chapitre de décrire quelques aspects de cette prise en charge qui se situe dans le travail des arts plastiques.

   Les personnes atteintes d'autisme ont une autre manière de penser et de percevoir. Elles voient les détails plutôt que le tout.

   Au contraire des autres personnes, elles ne dessinent pas en partant d'idées ni ne partent pas de symboles et de représentations abstraites. Leurs dessins sont plus directs.

   Si elles reproduisent des objets, des gens, des paysages, c'est le plus souvent fondé sur la perception et non sur la conception. Elles dessinent ce qu'elles voient, rien de plus, rien de moins. Leurs œuvres artistiques sont plus des représentations que des présentations analyse Peter Vermeulen.1

   Les autistes de “Haut niveau” reproduisent parfois la réalité ; des empreintes exactes ou des copies, comparables au négatif d'une photo. Ces dessins ne sont pas l'expression d'un sentiment profond ou d'une conception du monde.

   Les Arts plastiques sont une pratique de technique mixte qui fait en sorte de former, déformer, transformer, modeler, mettre en forme, figurer.

   Le métier de plasticien réside dans une confrontation permanente entre lui et la matière, “soit qu’il lutte avec elle pour la contraindre soit qu’il se laisse guider par elle soit que dans un dialogue complice, il joue avec et l’utilise.”2

   En ce qui concerne l’enfant, c’est en manipulant toutes sortes de matériaux qu’il apprend et se transforme.

   Cette maîtrise gestuelle qu’il acquiert est indispensable pour aller toujours plus loin dans la pratique des arts plastiques.

   Voir est aussi essentiel dit encore Claude Reydt : voir est naturel mais on ne regarde jamais avec ce que cela implique tout à la fois de dynamique, de concentration, de distanciation. “Voir est une création” disait Matisse.

   Le rôle de l’intervenant est de permettre à l’enfant de découvrir, en le conseillant dans ses démarches, en l’impulsant et en l’encourageant pour qu’il réalise ce qu’il désire vraiment. C’est aussi mettre un matériel à sa disposition, rassembler une documentation pour partager ses savoirs et favoriser la construction de ses propres savoirs. Aider à ce qu’il soit autonome, c’est lui permettre de développer un désir et un pouvoir de gérer sa propre activité ; c’est lui permettre d’être un peu plus Sujet.

   Je reprendrai une phrase de Temple Grandin dans Ma vie d’autiste :

   “Une matière me rendait l’école supportable : les arts plastiques - créer quelque chose d’unique avec du carton ou avec de la peinture et de la colle.
Petite, déjà j’aimais confectionner des objets. A cette époque, on négligeait le côté synthétique, global, artistique du cerveau au profit du côté linéaire, séquentiel, langagier de celui-ci. Evidemment un programme fondé sur la création artistique m’aurait encouragée à apprendre.”

   Le dispositif de l’atelier :

   L’enfant arrive accompagné d’un de ses parents qui ne rentre pas dans l’atelier.

   L’atelier doit être un lieu qui appartient à l’enfant et c’est ainsi que les parents le comprennent.

   Arrivés dans l’atelier, nous ôtons nos chaussures sorte de transition entre l’extérieur et l’atelier.

   Je laisse au début, à l’enfant, le temps de s’habituer à ce nouveau cadre pour qu’il puisse prendre ses repères, nous apprenons réciproquement à nous connaître.

   Les enfants viennent dans l’atelier une fois par semaine entre 1 h, 1 h 30 et 2 h.

   Dans la pièce, il y a une table et des chaises pliantes que les enfants m’aident à placer, ainsi qu’un tapis sur lesquels l’enfant peut s’asseoir et jouer. Il se dirige alors à son gré vers les différents jeux ou instruments de musique qui sont sur le côté, les différents matériaux pour l’activité puis sur le canapé avec les livres qui sont en général réservés pour la fin de la séance.

   J’interviens lorsque je sens qu’il ne parvient pas à faire de choix, et lorsqu’il est préoccupé par un ou plusieurs centres d’intérêt stéréotypés, c’est alors de mon ressort de lui proposer d’autres objets, d’autres matériaux et c’est lorsque je sens qu’il est dans une répétition que je peux m’interposer, le détourner et lui proposer d’autres couleurs, d’autres jeux.

   Faire découvrir à l’enfant, sans trop insuffler. Mettre à sa disposition les moyens techniques soit modelages, peinture soit craie soit le sec soit l’humide. Etre un inducteur et n’être que cela. Savoir transmettre avec humilité, toujours prendre garde de ne pas chercher à s’exprimer soi-même à travers l’enfant, mais au contraire lui permettre de trouver ses propres moyens d’expression.

   L’atelier est un lieu où la théorie ne doit pas précéder la pratique, mon atelier n’est pas un lieu d’occupation.

   Les productions ne sont pas secrètes (cela doit être clair dès le début avec l'enfant), ni rien de ce qui se passe dans l'atelier. Au contraire, les productions sont montrées et l’apprentissage avec les enfants est partagé avec les parents pour qu’ils puissent l’inclure dans une prise en charge globale de l’enfant.

   Le cadre de mon atelier a une fonction “contenante” pour moi comme pour l’enfant, c’est un “espace” très structuré.

   Les particularités de ce cadre sont annoncées explicitement ou implicitement aux enfants en début de rencontre et reste identique tout au long de l’année. Je suis la garante de ce cadre, l’enfant en a besoin.

   Chaque lieu dans l’atelier est bien défini, il ne faut pas trop de stimulations visuelles superflues pour que l’enfant puisse se concentrer et avoir ses repères.

   Les séances ne sont pas toujours claires et limpides, lorsqu’une chose m’échappe, j’essaie de questionner l’entourage de l’enfant pour mieux comprendre l’attitude exceptionnelle de ce dernier. Parfois cette attitude dans l’atelier peut confirmer un certain comportement à l’extérieur : une anxiété, un changement de comportement etc…

   Je repense à l’activité, je prends des notes, me remets en question face à mon propre comportement avec l’enfant, celui-ci l’influence parfois fortement.

   Des supervisions sont alors bénéfiques à l’intervenant pour extérioriser et mieux réintégrer et comprendre le problème.

   Je me questionne toujours davantage sur la bonne conduite de mes ateliers, ainsi que sur les enfants qui y viennent, peu m’importe l’étiquette qu’ils portent ; ce qui m’importe, c’est leur personne, leur sensibilité et la manière avec laquelle ils peuvent transformer sur le papier ce qu’ils ressentent. Avant d’en arriver là pour certains enfants, il faut passer par toutes sortes d’apprentissages comme la tenue du crayon, la concentration…

   Quand les enfants rentrent dans mon domaine, l’Atelier, ils respectent certaines règles, non sans difficultés parfois. Je dois également faire un effort face à leurs troubles de comportement plus ou moins graves. Je dois respecter leurs attitudes qui peuvent se modifier d’un jour à l’autre, essayer de les comprendre, ne pas les juger et ne pas hésiter à adopter des angles de vision différents.

   Je respecte l’enfant dans ce qui le construit, ses troubles, ses rituels, ses obsessions, je ne fixe pas mon attention sur cela au contraire j’essaie de détourner ses fixations par une attitude ferme, mais contenante. Je laisse les magazines à H. tout en essayant de le concentrer sur un autre centre d’intérêt, il finit d’ailleurs par comprendre qu’il y a un temps pour tout lorsque je maintiens une certaine fermeté dans mon attitude. Lorsqu’il faut comprendre en revanche pourquoi certains bruits ou lieux angoissent l’enfant, il ne sert à rien de lui retirer l’objet et de rester ferme, cela ne fera qu’amplifier sa crise : si "J", un autre enfant de l’atelier, perd un de ses objets sous les escaliers, objets qu’il amène toujours avec lui et qui le rassurent, cela risque de lui provoquer une crise aussi le cherchons nous ensemble ; mais si l’objet n’est pas retrouvé, je lui montre autre chose qu’il apprécie et par mon attitude j’essaie de le calmer de cette perte en dédramatisant. Aujourd’hui, "J" accepte mieux ce compromis, ce qui n’était pas le cas au début.

   Il est important de faire jouer le poids des mots, de poser des mots sur des états particuliers de l'un ou de l'autre en essayant toujours d’être au plus juste face à la situation afin de s’abstenir de faire peser sur l’enfant des exigences superflues et abusives.

   L’autre ne peut être réduit à soi, et être l’objet passif de nos désirs, “il faut se garder de la tentation de vouloir façonner l’autre à son image” disait Catherine Millet.

Retour sommaire

Notes

1 Cf. Extraits d’un article : “Quelques impressions sur l'autisme et l'art : Etre au / artiste”. Retour

2 Cf. Claude Reydt, Les Arts plastiques à l’école, Ed. Armand Colin, 1998. Retour



Ramkat © 2004