MEMOIRE DE MAITRISE DE NATHALIE BENAZRA |
LES ARTS PLASTIQUES
DANS LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS AUTISTES
Un certain rapport au vide chez l’autiste et chez l’artiste,
du moi / peau à la toile crevée
Chapitre I
Regard sur l’autisme
3
Les approches cognitives et psychanalytiques
Pour D. Anzieu1, il existe des Divergences entre les points de vue cognitifs (accentuant sur la dyade mère-nourrisson) et psychanalytique (qui insiste sur la dépendance première et la détresse originaire (nommée comme telle par Freud, 1895).
Le psychologue travaille sur des comportements et selon le schéma stimulus-réponse alors que le psychanalyste travaille sur des fantasmes.
L’interprétation des résultats expérimentaux est, par conséquent, très différente.
a - L’approche cognitive
La cognition, c’est l’ensemble des opérations mentales qui servent à traiter les informations venant de l’environnement.
La théorie cognitive postule que la pensée est liée au fonctionnement du cerveau ; et peut être envisagée comme un traitement d’information.
La théorie de l’esprit désigne, la capacité d’un sujet à attribuer aux autres des états mentaux (croyances, désirs, intentions…).
Chez les sujets autistes, cette capacité ne parviendrait pas à se développer normalement, ce qui expliquerait leur symptomatologie dans les domaines de la socialisation et de la communication.
L’enfant autiste, qui parle, ne communique pas de manière appropriée par rapport à son développement chronologique. Sylvie Stonehouse, écrit que de nombreuses études ont été menées sur le langage et le dysfonctionnement cognitif :
Les premières études ont porté sur l’objet langue, avec des analyses phonétiques, syntaxiques et sémantiques, mais sans vraiment aborder la question du langage, c’est-à-dire de la relation du sujet à l’utilisation de cet objet langue en tant qu’instrument de communication.2
Pour "J", son langage s’est développé en plusieurs étapes ; de la répétition, à l’appropriation en passant par une retranscription des sons entendus en enlevant des syllabes ou bien en signifiant la chose par tout un ensemble de situations, de moments, si bien que lorsqu’il signifiait le mot : chaussure cela voulait dire atelier d’arts plastiques avec Nathalie. Il a relié cette chose et cette action car je lui répétais d’enlever ses chaussures au début de l’atelier et nous les remettions en fin de séance. Ce rituel signifiait le début et la fin de la séance.
"J" cherchait d’ailleurs par jeu la carte des chaussures (je montre parfois aux enfants des cartes de l’objet dessiné et écrit pour permettre à certain l’approche d’une lecture globale). Je lui montrais également les bottes en lui disant que c’était une autre forme de chaussures, pour ne pas l’enfermer de trop dans une représentation unique de la chaussure.
Un tel rapport au signifiant et au langage peut faire passer l’autiste, parfois pendant longtemps, pour un déficient mental. Alors que son QI peut être supérieur à la moyenne.
D’ailleurs "J" a vite laissé ces cartes pour s’exprimer de plus en plus par le langage.
Un jour il a dit Nathalie sans avoir recours aux représentations diverses de l’atelier. Ce fut une grande émotion pour moi d’être nommée par "J", j’ai alors mesuré le parcours que nous avions fait ensemble. Mais rien n’est jamais acquis, je n’ai pas à ce jour réentendu "J" me nommer Nathalie.
L’enfant autiste a parfois une absence totale de communication, parfois un vocabulaire normal pour son âge, parfois fait des phrases en écholalie ou bien encore il peut répondre sous une forme toujours la même, ritualisée ou condensée.
Le rapport au langage est donc d’abord dominé par l’écholalie et l’embrouille dans les pronoms personnels. Le je est remplacé par le tu.
Bonjour "J" réponse Bonjour "J"
Certains enfants autistes dits de haut niveau sont capables d’une faculté exceptionnelle, autant au niveau communicatif qu’au niveau de leurs performances cognitives et aussi artistiques !
Le déficit en théorie de l’esprit constitue le trouble primaire selon certains, à l’origine des symptômes spécifiques de l’autisme, compte tenu du fait que les théories philosophiques du langage et de l’esprit ont stipulé la nécessité d’une théorie de l’esprit pour avoir une compréhension sociale et développer des capacités de communication.
Jaime Craig et Simon Baron-Cohen3 s’accordent sur le fait qu’entre trois et quatre ans, l’enfant au développement normal montre une compréhension des états mentaux comme la connaissance et la croyance ou bien encore voir, faire semblant, imaginer, penser, vouloir et rêver. Il est donc évident que l’enfant normal développe une théorie de l’esprit qu’il utilise pour donner du sens au monde social, pour interpréter des actions, réfléchir sur son propre comportement et prédire ce que les autres vont faire.
Ce qui n’était effectivement pas le cas de Michael lorsque je jouais avec lui au domino, exemple qui illustre ici, cette théorie de l’esprit :
La distribution des dominos etait difficile pour lui. Je l’accompagnais oralement et gestuellement : Un pour moi, un pour toi !
Le partage étant réalisé, je faisais commencer Michael, puis je jouais à mon tour. Il voulait très souvent faire suivre le jeu seul, ne comprenant pas que c’était un jeu et que l’on jouait à deux. On ne peut pas dire qu’il jouait avec moi dans le réel sens du terme ; je jouais avec lui et Michael, lui, restait dans son espace et sa logique ; celle de faire se correspondre les dominos, et non pas de jouer chacun à son tour pour gagner ou perdre ! Il était impossible pour Michael de tricher, d’être emporté par le jeu, d’être en colère ou de plaisanter, il n’aurait pas su interpréter ces signaux chez moi non plus.
Geneviève Macé4 écrit que chez la personne autiste, le champ d’expérience spontané est dramatiquement réduit par le dysfonctionnement cérébral. Pour elle la première difficulté cognitive se situe au niveau de la première étape celle de la sensation.
Les autistes ont un trouble de la modulation sensorielle. Le récepteur sensoriel fonctionne, mais la modulation est anormale allant de la surstimulation à l’inhibition massive. Tout ceci de façon imprévisible et au niveau de tous les récepteurs (vue, ouïe, tact, douleur, température).
b - L’approche psychanalytique
Les points de vue psychanalytiques sur les psychoses autistiques5 précoces ont connu un grand développement à la suite des travaux de M.Klein et de ses continuateurs.
C’est en 1952, à la suite de travaux de Mélanie Klein, Winnicott et Bion que la psychanalyste américaine Margaret Malher (encouragée par Kanner), Frances Tustin et Donald Meltzer à Londres envisagent les phénomènes psychotiques précoces comme des manœuvres défensives pour affronter des angoisses précoces terrifiantes que l’appareil psychique du nouveau-né n’est pas apte à traiter.
Margaret Malher décrit deux types de syndromes issus du prolongement pathologique de stades normaux du développement : la phase autistique normale dès les quatre premières semaines de la vie, et la phase symbiotique normale du deuxième au neuvième mois.
Pour F. Tustin et D. Meltzer, c’est l’exploration sans compromis de la situation transférentielle qui constitue l’outil du psychanalyste mais ils soulignent aussi l’intérêt capital d’une confrontation et d’échanges avec les autres disciplines : pédiatrie, neurophysiologie, études comportementales, etc.
Ils ont montré combien le maintien prolongé des défenses (autisme proprement dit) et le type même de la défense qui domine (confusion) pouvaient ensemble freiner très lourdement le développement mental des enfants : absence de développement du langage, inéducabilité, etc.
Frances Tustin, psychanalyste anglaise qui a effectué et supervisé un grand nombre de traitements d’enfants autistes, met en évidence en 1953 l’existence d’un autisme primaire normal et d’un autisme secondaire à carapace (retrait et inhibition massive, séparation impossible, hypersensibilité et rigidité de protection : descriptions très proche de celles de Kanner).
La classification en autisme infantile et schizophrénie infantile ne peut plus être maintenue à l’état pur.
Dans une communication de 1984, D.Meltzer fait l’hypothèse d’une diversification des manœuvres défensives dès le début de la vie.
La compréhension des psychoses précoces d’un point de vue psychanalytique est très importante pour un traitement psychothérapique soigné de ces enfants et de leur famille : travail individuel ou en groupe, avec l’équipe soignante et des intervenants extérieurs.
En France, le psychanalyste Didier Anzieu travaille sur des notions complémentaires et notamment sur celle d’une enveloppe psychique, constituée peu à peu chez tous les sujets par étayage sur la contenance et les soins maternels, qu’il nomme Moi-peau6 (1974).
Quand ce Moi-peau fait défaut (les affects étant trop intenses ou l’environnement pas assez contenant), écrit D. Anzieu, cela entraîne maintes perturbations du psychisme et du comportement, et entre autre le remplacement du Moi-peau par des enveloppes substitutives (de mouvement et / ou de souffrance : agitation, auto-mutilations, somatisations…).
Pour Rosine et Robert Lefort7, Les enveloppes autistiques traduisent une fixation au fantasme intra-utérin (qui nie la naissance) et l’échec d’accéder au fantasme d’une peau commune. Le bébé, par une réaction prématurée et pathologique, échappe au fonctionnement ordinaire qui tend vers une ouverture, se protège dans une enveloppe autistique et se retire dans un système fermé, celui d’un œuf qui n’éclôt pas.
Aujourd’hui, les psychanalystes comme les cognitivistes semble trouver de plus en plus d’intérêt à œuvrer ensemble de façon à mettre en relation leurs recherches.
De plus en plus les cognitivistes tiennent compte, dans la prise en charge de l’enfant autiste, de la part relationnelle qui a pu jouer dans le déclenchement de cette pathologie, avec moins d’excès que dans les orientations comportementalistes et surtout en évitant l’exclusivité d’une approche au détriment des autres.
Les psychanalystes pour leur part bénéficient des recherches de leurs collègues avec moins de rejet, j’ose l’espérer.
Retour sommaire
Notes
1
Cf. D. Anzieu, Le Moi Peau, Dunod, 1985.
Retour 2
Cf. Article de Sylvie Stonehouse, Autisme et troubles du langage.
Retour 3
Cf. Article de Jaime Craig et Simon Baron-Cohen L’hypothèse de la théorie de l’esprit : les enfants autistes parlent-ils de leurs rêves ?
Retour 4
Geneviève Macé, Aspects cognitifs de l’autisme (Journée autisme éducation du 7 décembre 1992).
Retour 5
La psychose autistique = repli primaire profond dans la coquille autistique et la psychose symbiotique, autisme secondaire ou schizophrénie infantile précoce = enfants ayant vécu un premier développement apparemment normal, puis une régression vers trois / quatre ans, régression caractérisée par une relation très fusionnelle à la mère, avec une absence d’autonomie, une intolérance à la frustration et une angoisse intense.
Retour 6
Cf. D. Anzieu, Le Moi Peau, op. cit.
Retour 7
Cf. Rosine et Robert Lefort, La distinction de l’autisme, Seuil 2003.
Retour
Ramkat © 2004