MEMOIRE DE MAITRISE DE NATHALIE BENAZRA



LES ARTS PLASTIQUES
DANS LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS AUTISTES
Un certain rapport au vide chez l’autiste et chez l’artiste,
du moi / peau à la toile crevée


Chapitre I
Regard sur l’autisme

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Historique et description de l’autisme

   a - Historique

   Léo Kanner en 1943 étend le descriptif d’Eugène Bleuler de 1911 du symptôme de schizophrénie (perte de la relation à la réalité et au monde extérieur) en introduisant l’ “autisme précoce”.

   Il le démarque de la catégorie de la “démence précoce”.

   Le désordre fondamental pour Kanner est l’inaptitude de ces enfants à établir des relations normales avec les autres, enfants et adultes.

   Pratiquement dans la même période, en 1944, Hans Asperger, un pédiatre autrichien, a appliqué le terme d’autisme à des enfants moins sévèrement atteints, appelé aujourd’hui des “autistes de haut niveau”.

   Bien plus tard dans les années 70, à Chicago-USA, Bruno Bettelheim s’intéressa également aux psychoses infantiles et notamment à l’autisme ; il va transporter la notion de “situations extrêmes” qu’il a vécues dans les camps de concentration à la psychose infantile. Dans La forteresse vide1, qui se veut à la fois une étude concrète et une contribution théorique, il rouvrait le vieux débat sur le poids de l’inné et de l’acquis dans l’étiologie des troubles psychologiques. En 1967, le programme réalisé à l’école orthogénique qui devient un lieu expérimental pour enfants psychotiques est de créer un milieu sécurisant qui serait le contraire de la “situation extrême” qu’il associe à la psychose infantile. Si un environnement d’horreur détruit la personnalité ou induit un comportement autistique, c’est que la psychose a pour origine un tel environnement. Pour la guérir, la soigner ou même tenter de la comprendre, il faut donc la séparer de ce milieu destructeur.

   Il mettait l’accent sur la mauvaise relation parents / enfant, coupables de l’incapacité de l’enfant à entrer en relation avec autrui.

   Son approche très controversée jusqu’à aujourd’hui a au moins eu le mérite de faire réagir les familles qui se sont vite associées pour revendiquer leur droit à participer à l’éducation de leurs enfants sans plus se sentir culpabilisées ni exclues.

   Malheureusement, les associations de parents ont eu tendance à rejeter en bloc la psychanalyse, encourageant l’engouement pour les hypothèses d’une origine génétique exclusive de ces troubles.

   L’espoir de trouver la cause génétique de l’autisme a orienté l’accompagnement de ses enfants dans des excès éducatifs qui sont encore aujourd’hui à la limite du dressage, mettant en avant la performance, excluant le sens des échanges relationnels.

   Les parents optèrent donc pour une approche comportementaliste, éducative et en parallèle, ils se sont battus pour faire voter une loi classant l’autisme du côté du handicap.

   b - Description

   Il est complexe d’affirmer avant 4-5 ans, un diagnostique précoce de l’autisme, il faut pour cela plusieurs examens ce qui est parfois encore insuffisant. Cependant, il est important à mon sens d’entreprendre une démarche éducative et thérapeutique dès que le trouble du comportement et de la communication sont décelés, tout en ayant à l’esprit que de multiples variables peuvent surgir durant la phase maturative première et par là même remettre en cause l’approche mise en place pour tel enfant ; il ne faut pas hésiter à se questionner et à se remettre en question, je dirai même que c’est là, la preuve d’un fonctionnement sain de l’intervenant.

   Kanner note que les parents de ces enfants se réfèrent à eux comme ayant toujours été “autosuffisants”, “comme dans une coquille”, “agissant comme si personne n’était là”, et ceci depuis les premiers instants dans la vie, la solitude de l’autiste fait qu’il s’exclut de toutes les stimulations extérieures : “absence d’anticipation posturale lorsque l’adulte se penche vers lui, les mains tendues pour le prendre. Cette sollicitation peut être vécue comme une intrusion effroyable”.

   Intrusion telle que la nourriture comme le décrivent Rosine et Robert Lefort2 qui peut aller jusqu’à l’anorexie sévère ou la boulimie. “Mais ce n’est pas tant l’objet-nourriture en soi que sa valeur relationnelle à l’Autre qui nourrit qui est en cause. Cette absence de réponse pulsionnelle de l’autiste, dès le niveau oral ne concerne donc pas tant l’objet que son absence de relation avec un Autre qui lui donnerait un corps donc des zones érogènes prévalentes dans la vie pulsionnelle.”

   Ces enfants peuvent présenter transitoirement un retrait marqué, une fuite du regard, des stéréotypies, de l’automutilation, une recherche anxieuse et répétitive de points de repère, une régression des capacités motrices et intellectuelles et une note dépressive évidente avec des signes de souffrance somatique.

   Les objets, en l’absence de leur valeur relationnelle, prennent une place telle, que le moindre changement dans leur répartition est aussitôt repéré par l’enfant, souvent de façon étonnante, quand il s’agit, par exemple d’un livre manquant, d’une lettre manquante dans un puzzle.

   "J" amène souvent dans ses mains, pleins de petits objets de la maison qui semble le rassurer, il est obsédé par ces objets, il vérifie sans cesse qu’ils sont tous là. Je joue parfois à lui en substituer, parfois il en perd un lui-même, il n’est pas content quand le jeu dure trop longtemps ou s’il ne le trouve pas rapidement. Au début, c’était pratiquement impossible de lui faire oublier l’objet, aujourd’hui il l’accepte beaucoup plus, il se permet même de laisser quelques objets en dehors de l’atelier sur la table à l’entrée. Cette attache aux objets reste encore aujourd’hui le déclenchement de crise, lors de la perte d’un d’entre eux par exemple.

   Kanner fait de cette réaction qui gouverne le monde extérieur de l’autiste un symptôme d’ “immutabilité” (qui ne bouge pas) en le qualifiant de désir obsessionnel, mais ce n’est qu’analogie et préservation du réel contre la destruction qui anime le sujet.

   Cette dominante de la destruction / autodestruction est la base de la relation de l’autiste avec le monde extérieur, disent encore Rosine et Robert Lefort.3

   Les personnes autistes ont un trouble de la modulation sensorielle au niveau des récepteurs de l’ouïe, le bruit de l’aspirateur, de la chasse d’eau ou de tout autre objet sonore (nous verrons le cas d’H.) leur sont parfois insupportable et peuvent provoquer des crises. “Crises autodestructrices, d’automutilation ou épileptiformes”.

   Dans la recherche des causes de cette maladie, ils semblent mettre en évidence qu’il n’y a pas d’Autre pour l’enfant autiste. “Dans le transfert, je suis là et n’existe pas en tant qu’Autre, que ce soit l’Autre de l’image, l’autre du signifiant ou l’Autre porteur de l’objet.”

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Notes

1 Cf. Bruno Bettelheim, La forteresse vide, Gallimard , traduction française 1964. Retour

2 Cf. Rosine et Robert Lefort, La distinction de l’autisme, Seuil 2003. Retour

3 Cf. Rosine et Robert Lefort, op. cit. Retour



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