MEMOIRE DE MAITRISE DE NATHALIE BENAZRA |
LES ARTS PLASTIQUES
DANS LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS AUTISTES
Un certain rapport au vide chez l’autiste et chez l’artiste,
du moi / peau à la toile crevée
Chapitre I
Regard sur l’autisme
1
Présentation - Introduction
La difficulté d’introduire un sujet comme l’autisme1 est liée tant à la complexité des origines de cette pathologie qu’aux conflits et orientations qu’elle suscite dans le milieu même de l’autisme.
Pour caractériser l’autisme, le concept de syndrome2 est probablement le plus approprié.
Il est de plus en plus évident que l’origine de l’autisme ne peut se comprendre essentiellement par une cause biologique mais relèverait plutôt d’une étiologie multifactorielle. Les chercheurs s’accordent enfin à le reconnaître. Il semble alors juste d’avoir une approche multidisciplinaire de l’autisme et de ne surtout pas se cantonner à une seule méthode.
L’objet de cette recherche est de travailler sur l’approche des arts plastiques, comme méthode de travail, auprès d’enfants autistes et de mettre en avant ce qu’elle peut apporter, en parallèle d’autres prises en charge. [Il est, bien entendu, possible d’élargir les bienfaits de cette pratique auprès d’autres enfants, en difficulté ou non.]
Quelques aventures d’ateliers dont je témoignerai viendront exposer en quoi cette approche peut être bénéfique.
Les rencontres singulières avec chaque enfant suivi dans le cadre de mes ateliers individuels ont été à chaque séance une rencontre passionnante. Elles transforment chaque jour un peu plus, mon approche, en venant enrichir mon parcours théorique.
Je rapporterai quelques éléments du projet individuel de Johannes, que j’ai écrit lorsque j’étais référente de la classe qui l’accueillait ; de mon contre-transfert3 positif, qui nous a permis de réellement nous rencontrer et d’installer une relation qui lui a permis le temps de cette rencontre de faire de gros progrès qui ressortiront dès que l’occasion se présentera avec des gens de confiance ; de ma très courte expérience de 15 mn avec Benjamin que j’ai exposé en supervision à l’Institut d’art et thérapie (INECAT) avec comme superviseur le Dr J.-P.Klein et qui mettra en avant la difficulté que je rencontre parfois avec certaine mère.
Je raconterai ma rencontre avec "J", la transformation de son comportement et de son graphisme (du gribouillis à la tête du bonhomme) durant l’année et demie qu’il a passée avec moi dans l’atelier.
Je parlerai également d’H. et de sa lente progression vers un comportement plus autonome, en apprivoisant progressivement sa résistance aux changements. Un travail fait en parallèle avec d’autres intervenants (que je ne connais pas) et surtout grâce en grande partie au soutien de sa maman à laquelle je rends hommage dans ce mémoire.
1 - Présentation
Je me présente brièvement, je suis plasticienne, j’interviens en arts plastiques auprès d’enfants autistes en individuel dans mon atelier. J’interviens également en centre de loisirs auprès d’enfants dits ordinaires.
J’ai également travaillé durant une quinzaine d’année dans divers ateliers de création et en tant qu’éducatrice spécialisée (sans en avoir réellement le titre) au sein de plusieurs institutions. Il m’a toujours été très difficile de me positionner face à l’institution qui a le besoin irrésistible de cloisonner ; il faut absolument endosser un uniforme : celui d’éducatrice, d’art thérapeute, ou d’artiste ?
Je me suis très tôt intéressée à l’autisme mais aussi aux arts plastiques, sans jamais vouloir trancher ni appartenir à une seule définition professionnelle. Seulement, ne faut-il pas diagnostiquer, cadrer, enfermer l’autre pour mieux le comprendre et l’apprivoiser ? C’est cet état d’esprit que je combat au moins depuis ma scolarité.
Aujourd’hui, en centre de loisirs, je remarque déjà des enfants formatés qui n’osent pas se salir les mains, qui ne jurent que par la gomme (pour vite effacer leurs bêtises), qui reproduisent les mêmes archétypes : La maison, le soleil, l’arbre, des fées (pour les filles) etc.
Je suis constamment en recherche d’une plus profonde compréhension de cet autre qu’est l’enfant autiste. C’est pour cela qu’en parallèle de mon travail dans l’atelier, j’essaie aussi d’élargir mon champ de connaissance et d’être en perpétuel mouvement en participant à des congrès, en rencontrant des personnes du monde de l’art et de l’autisme, en continuant à étudier tout ce qui peut aider à une meilleure compréhension.
Au tout début de mon parcours, l’école des Beaux-Arts m’a permis d’expérimenter tous les matériaux possibles (en soudure de métal, en vidéo, en photo, en sculpture, en gravure, en lithographie, en sérigraphie, enfin en peinture). Matériaux que je mis au service de ma propre créativité, et qui me permirent de comprendre jusqu’où la complexité de tels matériaux me permettait de travailler avec des enfants ou adultes en difficulté.
Mon passage dans une école d’art et d’éducation4 en Israël m’a fait découvrir le délicat mariage de l’art et de l’éducation spécialisée. [Cette double formation n’existe pas en France.]
Aujourd’hui, j’essaye de toujours mieux imbriquer cette médiation formidable auprès de ce public si particulier.
J’ai poursuivi mes recherches personnelles dans ce domaine en suivant des cours et des congrès dans divers lieux et en faisant une formation dans un institut de formation à l’art thérapie où se pose la question de l’art comme transformation de la personne. Puis enfin, je continue ma recherche personnelle en peinture, je peins et j’expose.
Lorsque j’ai débuté, j’étais spontanée ; quelque temps plus tard, au fait des méthodes, mon attitude était plus soutenue, je me référençais, il y a de cela une dizaine d’année, principalement au champ éducatif -ré-éducatif. [Même si la médiation artistique ne m’a jamais réellement enfermée dans l’éducatif !] Cependant, il manquait à ce travail l’appareil psychique de l’enfant : que ressent-il vraiment et que pouvons-nous face à cette souffrance ?
Je m’efforce encore aujourd’hui de trouver le juste milieu mais plus mes connaissances s’enrichissent dans l’un ou l’autre des champs, plus il me semble que ces connaissances troublent ma spontanéité.
Je reste donc entre ces deux pratiques en me référant essentiellement au champ éducatif de peur de ne faire trop de dommages à tenter d’ analyser comme pourrait le faire un art thérapeute : je me sentirais peut-être prête lorsque mon travail personnel en analyse aura abouti.
Il existe différentes attitudes d’art thérapeutes ; certains se situent comme professeurs, d’autres se font apprentis sorciers, en mélangeant art, psychanalyse, sans savoir qu’ils risquent de mettre en danger l’autre, qui se trouve tout aussi perdu que son guide faute d’une pratique à savoir partir et revenir dans l’imaginaire. On ne s’expédie pas sur une montagne si l’on ne pratique pas l’alpinisme !5
a - Mes années passées en Israël
YARHDAV
J’ai commencé à travailler avec des enfants autistes en 1992 à Yarhdav - Ecole pour enfants autistes à Tel-Aviv (Israël), un des premiers établissements créés par l’association nationale de parents d’enfants autistes en Israël (ALUT) - pendant quelques mois pour remplacer l’enseignante en Arts Plastiques.
L’école comportait six classes de moins de dix élèves chacune, plus une classe dont les élèves étaient en intégration dans un établissement ordinaire. Les activités étaient divisées : le matin, certains élèves rejoignaient des ateliers, tel le sport, la musique ou les travaux manuels, tandis que les autres restaient en classe pour le travail éducatif en groupe ou en individuel. Les enfants étaient également suivis en thérapie.
Cet atelier de travaux manuels consistait, en parallèle à d’autres moyens, à développer en chacun le point défaillant : pour tel enfant travailler le schéma corporel, son corps dans l’espace, la motricité fine, la coordination, l’attention, la concentration, le comportement…
Des réunions entre les professionnels étaient organisées afin de parler des enfants, l’atelier d’Art jouait un rôle important au même titre que les autres disciplines. Il apportait véritablement un plus au travail éducatif exécuté en classe et c’est à cette juste valeur qu’il était considéré.
Ce fut une première expérience, très enrichissante d’autant que la personne que je remplaçais était mon maître de stage à laquelle je dois en grande partie (ainsi qu’à l’école d’art et d’éducation spécialisée) la base de mon travail d’aujourd’hui. Les méthodes utilisées sont un mélange de tout ce qui existe sur le marché, si j’ose dire ! [Approche naturelle également, qui prend ses sources au plus profond de la sensibilité de chacun, sur le terrain et dans la vie du pays.] Il est important de laisser s’exprimer la sensibilité de ces jeunes sans trop les cloisonner dans telle ou telle catégorie de handicaps ou de niveaux.
KFAR OFARIM et KFAR SHIMONE
J’ai travaillé dans deux établissements pour adultes autistes :
- A KFAR OFARIM, en internat, j’étais l’accompagnatrice de 9 adultes dans leur vie de tous les jours.
- A KFAR SHIMONE, je dirigeais l’atelier d’Arts plastiques.
Le premier était plus ou moins révolutionnaire pour l’époque - un lieu de vie uniquement pour adultes autistes avec des maisons de neuf chambres pour neuf adultes, dans la mesure où l’hôpital psychiatrique restait leur seule pension, avec tout ce que cela impliquait : ce fut vraiment un grand changement.
Le second se voulait également révolutionnaire ; il revendique haut et fort sa différence d’avec le premier. Sa force, c’est le lieu, un espace de liberté dans une forêt, avec des bâtiments comportant notamment dix grandes chambres, une par personne, une cuisine, une salle commune pour manger, une salle de détente et même un Jacuzzi, cher à la Directrice du lieu. Un concept plus élargi et nouveau, mais peut-être tellement nouveau que l’équipe n’arrivait pas tout à fait à se construire.
Pour Kfar Ofarim, l’histoire est plus ancienne et la direction est plus solide : après le lever et le petit-déjeuner, il y a des ateliers le matin. L’importance est également donnée ici aux divers ateliers de travaux manuels.
Il y a aussi le C.A.T. (centre de travail adapté) à l’intérieur de l’institution. L’après-midi est libre : sortie, plage, télévision, voir ateliers dans la maison jusqu’au repas et coucher.
J’ai pu remarquer que le grand nombre d’adultes et d’accompagnateurs enlève toute notion de groupe d’appartenance. Tout est plus dilué, bien qu’il y ait de bonnes approches, tel ce groupe de musiciens (autistes) qui jouent ensemble ce qui est tout simplement étonnant ! et ces quelques artistes (autistes) reconnus, notamment pour avoir exposé tant en Israël que hors du pays.
L’apprentissage en arts plastiques de ces adultes n’a pas commencé à Kfar Ofarim mais à Yahdav lorsqu’ils étaient petits. La différence est flagrante avec d’autres enfants que j’ai suivis en France et qui n’ont pas eu l’opportunité d’avoir un plan éducatif et thérapeutique suivi en arts plastiques par exemple.
En ce qui me concerne, Yarhdav et Kfar Ofarim ont été une très bonne source d’expérience qui m’a apporté un certain nombre d’idées à mettre en pratique et qui a forgé l’état d’esprit dans lequel je travaille aujourd’hui.
Ces établissements ont été créés et sont gérés tous deux par l’Organisation ALUT. Cet organisme revient, à juste titre, aujourd’hui à l’idée de mettre en place de petits groupes restreints logés en foyer-hôtel, à l’intérieur des villes. Les lieux, trop grands, sont impersonnels. Par ailleurs, le personnel s’y sent moins concerné ; à Kfar Ofarim les échanges à l’extérieur sont quasiment inexistants, et pour cause, le C.A.T. est à l’intérieur même du Centre.
En Israël, le combat pour que les personnes autistes soient prises en charge différemment est actif et constant malgré le manque de budget de l’état. J’y ai rencontré beaucoup moins de conflit sur l’Autisme qu’en France et j’en veux pour preuve la diversité des associations de parents d’enfants autistes en France qui ont du mal à se mettre d’accord sur les différentes approches (éducatives et thérapeutiques) à utiliser et la ligne à suivre.
Quant aux Arts plastiques, ils ne sont absolument pas pris au sérieux, ils sont là somme toute pour faire réaliser à l’enfant de beaux dessins !
b - Ma pratique en France
ECOLE B
Comprends six classes pour enfants à handicaps divers dans trois établissements non spécialisés, avec une classe pour enfants autistes dont j’étais référante durant deux années ; je donnais également des cours d’Arts plastiques aux autres enfants de cet établissement.
L’idée était d’intégrer de jeunes handicapés au sein d’établissements ordinaires en leur faisant suivre une vie commune en parallèle avec un travail éducatif. Pour la classe d’enfants autistes, il y avait différents niveaux et des élèves de tous âges, l’exemple en est l’intégration partielle d’un de nos élèves de 17 ans, dans une classe de 1ère pendant la récréation, la pause et le repas. L’élève avait chaque fois un tuteur volontaire, de la même classe.
Les élèves étaient accueillis à mi-temps. Un travail étroit était fait avec les autres établissements qui les prenaient en charge ainsi qu’avec les parents.
Quelques résultats individuels, mais pas assez de travail d’équipe, pas de réunions spécifiques à l’autisme, ce qui entraîna une grande solitude professionnelle négative pour la bonne marche des projets de la classe au côté des autres classes spécialisées. La direction était assez ouverte et me donnait une grande latitude pour le fonctionnement de la classe hélas, le manque de budget arrêtait mon enthousiasme ainsi que celui des parents.
Il nous était implicitement demandé de travailler avec la méthode Teacch6 et C.F.7
La méthode Teacch telle que je l’ai comprise en Israël [D’ailleurs à ce propos, je n’ai jamais su que cette méthode personnalisée, portait le nom de Teacch, ce n’est qu’arrivée en France que j’ai appris le nom des méthodes ! et l’attachement certain aux théories plus qu’aux pratiques !] ne doit pas comme toutes les méthodes être figée mais évolutive et sensitive.
Le Teacch est certainement une méthode qui s’attache moins à la personne qu’à ses performances mais elle est aussi sensée être utilisée par des Etres Humains qui ont normalement la capacité de transformer et compléter les manques ; d’apporter un peu de vie à la théorie qui est forcément restreinte.
Ce n’est que très rarement que j’ai vu une telle créativité, les éducateurs préférant se positionner derrière des méthodes peut-être afin de ne pas assumer de front des échecs répétés qui ne sont pas rares dans cette profession, et également pour se protéger !
Je n’ai jamais travaillé avec la C.F, méthode que je conteste fortement.
Il y a 7 ans que je ne travaille plus en institutions, cela a peut-être changé aujourd’hui, du moins j’ose l’espérer !
Ce fut un choix un peu par dépit mais que j’assume totalement aujourd’hui ; je fusse si l’on peut dire victime de l’institution et de ces barèmes lorsque je recherchais un poste. Je n’avais aucun diplôme attestant mes connaissances de l’autisme (un diplôme d’éducateur par exemple). Cela m’a bien souvent déçue humainement car malgré de bons entretiens et la reconnaissance d’un riche parcours, les différentes directions ne pouvaient pas m’embaucher.
J’ai donc décidé de poursuivre le travail que j’aimais auprès de ces enfants en donnant des cours particuliers, ce n’est pas simple non plus mais c’est une dynamique qui me satisfait pleinement aujourd’hui.
COURS PARTICULIERS
Le travail d’équipe - très peu rencontré ailleurs il est vrai - manque de toutes façons dans cet autre aspect de la prise en charge.
On est seule face aux parents ce qui n’est pas toujours évident à gérer comme vous pourrez le lire avec l’exemple de Benjamin et de Samuel.
Il est nécessaire de faire partager aux parents l’évolution de leur enfant, questionner sans cependant trop entrer dans la vie intime de l’enfant et des proches pour faire des liens avec ce que l’on vit en atelier une fois par semaine.
Rester une aide pour les parents, un guide et un soutien est mon objectif. Je prends garde à ne pas heurter la structure familiale, la vie est déjà bien assez difficile pour ces familles.
Si le cours particulier est la seule prise en charge, aucun problème ne se pose. Les résultats et la confiance des parents demeurent les seuls juges. Si au contraire, le cours particulier vient en parallèle d’une école ou d’un centre, il faut bien savoir se placer vis-à-vis de l’enfant et l’idéal serait d’être en contact permanent avec le centre ou les autres intervenants extérieurs, si possible participer à leurs réunions et intervenir en tant qu’élément extérieur au cas où ils en feraient la demande, ceci indiquant une reconnaissance de leur part. [Je ne l’ai jamais vécu, nous sommes souvent, nous, les intervenants extérieurs, vécus comme un danger pour l’institution.]
Il peut être question de sortie, pour des achats de matériel, aller dans les musées et entretenir un contact avec la société. Il s’agit par là de comprendre l’enfant dans un environnement extérieur.
Pour ne pas être totalement seul dans ce travail avec l’enfant, il me semble nécessaire de faire un travail sur soi. (Thérapeutique ou autre)
DIFFICUTES RENCONTREES SUR LE TERRAIN
Quand je fais un bilan général de ce que j’ai rencontré dans les institutions où j’ai travaillé en France et en Israël, je trouve plusieurs points clés qui leur sont communs et autour desquels se cristallisent les difficultés :
1 - La direction : souvent pleine de bonne volonté, avec des projets d’établissement concrets en perspective; étonnamment, ses bonnes intentions butent face à la réalité (fossé théorico-clinique), parce que trop abstraites, mal conçues pour la catégorie de bénéficiaires ou parce que la bonne équipe nécessaire pour les mettre en place n’avait pas été réunie.
2 - L’équipe : si elle est constituée par une bonne direction, une bonne équipe doit se composer de professionnels de qualité, mais aussi de personnes parfois sans diplômes, sélectionnées pour leurs expériences et pour leurs qualités humaines ; j’ai pu constater que ces dernières sont essentielles, particulièrement avec les personnes autistes.
3 - L’entente : une bonne entente au sein de l’équipe est indispensable, elle seule peut générer un vrai dialogue autour des bénéficiaires de l’établissement. A mon sens, il ne faut pas hésiter à sélectionner les personnels qui s’adjoignent en cours de route en fonction des personnes déjà présentes dans l’équipe si celle-ci est performante et unie ; l’équipe sera d’autant plus efficace que les caractères de ceux qui la composent s’accordent.
4 - La formation : Une formation spécifique sur le sujet. Elle est nécessaire aux professionnels pour qu’ils puissent mettre en place des projets individuels, adaptés à cette pathologie ; elle est souvent manquante, ce qui est cause de décalage dans les équipes.
5 - Les réunions : elles sont indispensables. Elles doivent être régulières et hebdomadaires ; c’est là qu’on fait le point, qu’on échange. La façon dont elles sont dirigées est très importante si elles sont menées dans la convivialité, elles ne sont ni un poids, un moment à esquiver, elles sont un temps attendu, il faut y traiter des sujets qui intéressent l’équipe, introduire des conférences sur des thèmes précis et choisis ensemble comme les différentes prises en charge et méthodes en vogue, la question de la sexualité et de la violence, etc.
6 - L’intermédiaire : la présence d’un intermédiaire, psychologue, psychothérapeute par exemple, est indispensable, je l’ai toujours vérifié, non seulement pour parler des enfants et de leur parcours mais pour aider le professionnel, face à l’enfant ; la bonne formation de cette personne à l’autisme est alors cruciale pour l’équipe. Une réunion hebdomadaire peut être faite sans la direction pour permettre aux professionnels d’être plus libres dans leurs propos, dans la mesure où une thérapie individuelle ne peut être prescrite à chaque intervenant.
7 - Les contacts : en dehors des réunions, ils doivent rester constants pour permettre d’être toujours dans l’actualité de l’évolution de l’enfant, aussi bien que dans l’actualité face à cette pathologie (congrès, revues, etc.). Outre les cahiers de correspondance et les comptes-rendus pédagogiques ou thérapeutiques qui doivent être faciles à lire, une salle de repos ou de rencontres des accompagnateurs est indispensable. L’esprit de hiérarchie ne doit pas faire obstacle à ces contacts informels.
8 - Les partenaires : des échanges en nombre suffisant doivent être organisés avec les parents et des intervenants extérieurs qui apportent un peu de fraîcheur et de renouveau à l’institution.
2 - Introduction
J’ai très vite été fasciné par la perpétuelle confrontation au vide, aux limites, et à la situation extrême à laquelle nous sommes contraints dans un travail avec des enfants autistes, ainsi que dans un travail artistique : la prise de risque est une attitude nécessaire en création.
Confrontation à son propre vide et à ses propres limites. Lorsque j’étais encore étudiante aux Beaux-Arts, nous réalisions des projets individuels et de temps à autre nous nous réunissions pour recevoir la critique instructive d’un professeur.
Le travail que je présentais en cours de réalisation se voulait être une installation dans l’espace, de photos et de cages.(Voir photo ci-après)
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Le projet était encore ambigu, il touchait à la notion d’intimité.
J’avais photographié au macro des parties de peinture qui était dans un livre intime peint. Je souhaitais en faisant cela mettre à jour une partie de cette intimité mais, n’en ayant photographié qu’une partie ce fragment d’intimité n’aurait pu être réellement compris et capturé par l’autre : il aurait au contraire renvoyé le spectateur au questionnement de sa propre intimité.
Pour compliquer le tout et protéger au mieux cette intimité, j’ai décidé de souder des barres de métal pour en faire des cages dans lesquelles je rangerais ces photos, elles seraient ainsi vues mais non touchées, entrecoupées de barreau ce qui ne faciliterait pas la vision qu’on en aurait et de plus elles seraient protégées.
Le professeur, pour résumer ces propos, me fit remarquer que ces photos de l’intimité sous cage étaient peut-être protégées par la cage mais que la cage enfermait également ces photos, et que c’était ainsi une proposition à double tranchant, l’important étant de ne pas se faire piéger.
Il rajouta qu’il lui semblait, que je n’avais pas la clef de cette cage et il me conseilla d’arrêter ce travail pendant un moment et de prendre du recul. Ce que je fis et qui me fit beaucoup de bien parce qu’effectivement j’avais touché à un nœud que je n’étais pas à l’époque en mesure de dénouer. Je repris ce travail quelques années plus tard et ai même pu l’exposer au regard des autres qui m’en firent toutes sortes d’interprétations que j’étais prête à recevoir enfin. Cette confrontation à ma propre limite a sans doute été à l’époque très difficile à gérer.
Je pense aujourd’hui que c’était une étape nécessaire pour me découvrir à moi-même. Prise de risque qui permet au travail d’avoir une plus forte présence lorsque ce travail est partagé avec l’autre.
Comme l’écrit si bien Gilles Deleuze dans Francis Bacon8, quand il parle du peintre ; le problème en effet pour moi, n’était pas tant d’entrée dans la réalisation plastique mais plutôt de pouvoir en sortir :
... Il y a toute une lutte dans la toile entre le peintre et ces données. Ce travail préparatoire est invisible et silencieux, pourtant très intense. Si bien que l’acte de peindre surgit comme un après coup (hystérèsis) par rapport à ce travail…
Marie-Claude Joulia9, dans son ouvrage sur l’art thérapie, décrit, elle, l’artiste comme point d’appui en devenant l’artiste passeur de par son propre travail de créateur ; il tente, dit-elle, d’approcher l’abîme, non dans l’évitement du vide et de l’absence, mais par le travail d’une mise en présence de points, facilitant la rencontre, prenant possession de l’espace, jouant entre construction et déconstruction, ténèbres et lumières.
Confrontation au vide et aux limites : L’espace à remplir avant que le projet ne commence, ou un projet abouti qui vous laisse vide (c’est le moins qu’on puisse dire !), le blanc d’une toile, la solitude dans l’atelier, le trop plein à vouloir exprimer et à ne pouvoir d’un seul trait le retranscrire, le doute constant, le vide relationnel que cela nous impose pour être en bonne condition de création me fait mettre en parallèle ce même dépassement des limites chez l’enfant autiste que l’on doit contenir pour qu’il ne se laisse de trop déborder par une angoisse, faisant apparaître des gestes stéréotypés et un comportement atypique qui crée également le vide autour de lui !
Selon Claude Sternis et bien d’autres : Les personnes autistes seraient la proie d’angoisses spécifiques, de vide (vidage, liquéfaction, chute, dissolution, anéantissement du corps, vertige spatial…) et de perçage… non contenues, transformées et métabolisées par la relation.10
Sensation que nous ressentons tous à un moment de notre vie mais peut-être de façon moins intense et extrême.
L’enfant autiste frôle sans cesse les extrêmes, les siennes, celles de l’intervenant, celles du cadre et de l’exercice en question, expérience que je vis également dans mon travail artistique.
D. Anzieu, dans Le corps de l’œuvre11, constate que l’angoisse, la souffrance, la terreur, le vide intérieur peuvent être tel, que la création apparaisse comme la seule autre issue, à la fois possible et impossible.
Gilles Deleuze, dans Francis Bacon Logique de la Sensation12, ne semble pas croire au blanc de la toile, C’est une erreur de croire que le peintre est devant une surface blanche. Au contraire, il dit que le peintre a toujours quelque chose dans sa tête ! Or tout ce qu’il a dans la tête ou autour de lui est déjà dans la toile, plus ou moins virtuellement, plus ou moins actuellement, avant qu’il commence son travail. Tout cela est présent sur la toile, à titre d’images, actuelles ou virtuelles. Si bien que le peintre n’a pas à remplir une surface blanche, il aurait plutôt à vider, désencombrer, nettoyer… ; ce n’est pas tout à fait faux, mais pas toujours exact. Il omet que l’artiste passe également par des périodes de vide total, il mentionne pourtant cette expérience du chaos :
Il n’y a pas de peinture qui ne fasse cette expérience du chaos - germe… Ce n’est pas une expérience psychologique mais une expérience proprement picturale, bien qu’elle puisse avoir une grande influence sur la vie psychique du peintre. Le peintre affronte là les plus grands dangers, pour son œuvre et pour lui-même. C’est une sorte d’expérience toujours recommencée, chez les peintres les plus différents : l’abîme ou la catastrophe de Cézanne, et la chance que cet abîme fasse place au rythme : le chaos de Paul Klee, le point gris perdu, et la chance que ce point gris saute par-dessus lui-même et ouvre les dimensions sensibles… Le peintre passe par la catastrophe, étreint le chaos, et essaie d’en sortir.
Effectivement, les moments où l’artiste est en communion totale avec son travail, déconnecte inévitablement d’une certaine réalité. Je n’ai pas encore fait l’expérience de cet état extrême hystérique, mais je sens bien là, ce que Deleuze a voulu dire.
Dans ma recherche, j’ai particulièrement été intéressée par la notion de Moi-peau de D. Anzieu13, je souhaite en développer ma compréhension et mettre en parallèle la métaphore de cette peau de l’autiste si fragile qu’il ne nous laisse pas toucher, le Moi de l’autiste, si en difficulté dans notre monde ; et cette peau métaphore de la toile qui bien souvent vient exprimer ce Moi si fragile de l’artiste, comme une seconde peau, une sorte de carapace que l’enfant autiste semble parfois revêtir.
J’aborderai la défaillance du pare-excitation (C’est la coordination mère-enfant, avec un léger décalage dans l’anticipation dans limitation ou encore dans les réponses qui permettent de constituer ce pare-excitation) et de la contenance.
D’un point de vue théorique, je prends comme postulat les concepts développés par Freud, Winnicott, Klein et Anzieu.
Mon travail ne consistera pas à développer ces concepts mais à étudier l’autisme et la spécificité de ses mécanismes en vue d’ébaucher une sorte de méthode de travail en arts plastiques. Je mettrai en évidence ce que la psychanalyse peut apporter à la définition de ce qu’est l’autisme qui je crois mérite son éclairage revisité depuis le malentendu des années 70-80 entre les parents et la psychanalyse.
Aujourd’hui, les familles sont les bienvenues pour échanger avec les unités de soins et reprendre leur rôle dans l’éducation de leurs enfants. Sans trop d’intrusion d’un côté comme de l’autre, cela me semble être une démarche intéressante.
Je me réjouis de l’évolution des idées qui veut faire se rencontrer des approches de soins complémentaires afin qu’elles soient ensemble au service d’un mieux-être des enfants et de leur famille.
Ce qui n’était manifestement pas le cas dans les années 70 / 80 ; les documentaires de Daniel Karlin sur l’école orthogénique (Sonia Shankman de l’université de Chicago) dont Bruno Bettelheim était le directeur depuis 1944 ont soulevé d’énormes polémiques. Les associations des parents d’enfants autistes combattent aujourd’hui encore l’image de B. Bettelheim.
Ces documentaires m’ont personnellement beaucoup impressionné, je les ai vus à l’âge de 15 ans, ils ont également provoqué en moi une véritable passion pour le sujet de l’autisme. Depuis lors, je n’ai eu de cesse de lire les ouvrages de Bettelheim mais aussi bien d’autres auteurs traitant de l’autisme (voir bibliographie).
D’un point de vue méthodologique, mon travail de recherche n’est pas une étude statistique, ni une étude comparative, mais le résultat d’une observation active de plasticienne concernée par l’autisme, d’un point de vue extérieure à l’institution, dans mon atelier.
L’objet de ce mémoire est une contribution théorique à la compréhension de la clinique de l’autisme infantile ainsi qu’à une approche des enjeux transférentiels et contre-transférentiels dans des lieux tels qu’un atelier qui ne se veut ni d’occupation, ni de conditionnement, ni de thérapie.
Je ne me revendique d’aucune école en particulier, si ce n’est en partie de toutes celles que j’ai suivi, et des nombreuses personnes, artistes, professeurs ou thérapeutes, que j’ai rencontré depuis l’âge de 15 ans.
Ces personnes m’ont aidée à tisser la toile, sur laquelle je vis chaque moment en y déposant les différentes touches et couleurs qui me sont apportées par ces rencontres, ce qui me permet aujourd’hui, après bien des recherches identitaires, d’évoluer dans le milieu de l’autisme mais aussi dans celui de l’art.
Ce mémoire de maîtrise approfondira le sujet de l’autisme plus qu’il ne le fera de la part artistique qui elle sera certainement développée dans un autre mémoire. Je donnerai quelques exemples d’atelier et passerai lors de ma soutenance, un film de 10 mn sur l’atelier dont le commentaire est retranscrit au chapitre II, VI, p. 129 ainsi que quelques photos des travaux d’enfants et d’adultes illustrant les techniques utilisées. [En fin de film et tout au long de ce mémoire ainsi qu’en annexe p. 134.]
Je tenterai dans ce mémoire, de me tenir à l’écart des querelles concernant les différents courants sur les origines de l’autisme mais aussi des différences qui morcellent toutes les associations des familles d’enfants autistes.
Le schéma selon lequel le mouvement associatif des parents s’est développé est décrit dans cette mise au point du rédacteur en chef, Monsieur Pierre Fouquet relevé dans la revue La lettre d’Autisme France, n°2 de novembre 1999. On y voit bien les différents désaccords notamment autour de la psychanalyse :
…Jusqu’à la fin, des années 80, les parents de personnes autistes étaient regroupés dans la fédération Sésame Autisme, qui était à l’époque favorable à une collaboration avec les tenants de la psychiatrie psychanalytique. Autisme France est né du libre choix d’une attitude différente, celle d’une résistance sans concessions vis-à-vis du lobby psy. Parmi les associations parisiennes précédemment évoquées, la plupart (ex : Autisme Ile de France) se sont reconnues ensuite dans Autisme France, et ont choisi dans devenir des associations partenaires. Quelques unes (ex : Pro Aid Autisme) ont choisi de continuer à faire cavalier seul. Voilà le schéma selon lequel le mouvement associatif des parents s’est développé depuis une dizaine d’années…
Les débats virulents sur l’autisme ont très certainement contribué aux avancées sur les théories de l’autisme, mais ils ont surtout nui au suivi des enfants et de leur famille, en se réfugiant dans des excès d’orientation, ou purement psychanalytiques ou purement inspirés des théories cognitivistes, en se niant l’un et l’autre avec virulence.
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Notes
1
Autisme vient du grec autos, soi-même, et signifie être replié sur soi, ne pas participer à, avoir des contacts perturbés.
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Syndrome : Ensemble bien déterminé de symptômes, ne caractérisant pas nécessairement une seule affection pathologique, une seule maladie, mais pouvant traduire une certaine modalité pathogénique. Voir Henri Piéron, Vocabulaire de la psychologie, PUF, 1994.
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Contre-transfert : Ensemble des réactions inconscientes de l’analyste à la personne de l’analysé et plus particulièrement au transfert de celui-ci. Voir J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1997.
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Ecole du nom de Midrasha Le Omanout branche de l’université de Beit Berl - école normale.
Retour 5
Cf. Marie-Claude Joulia et Vladimir Mitz, L’art thérapie L’artiste compagnon de voyage, L’harmattan, 2003.
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Le Teacch : Traitement et éducation des enfants atteints d’autisme et de troubles de la communication. Mis en place en 1966 au Département de Psychiatrie de l’école de médecine de l’université de Caroline du Nord, à Chapel Hill avec l’aide de l’office d’éducation et du National Institute of Mental Health.
7
Communication facilitée.
Retour 8
Cf. Gilles Deleuze, Francis Bacon Logique de la Sensation, Seuil, 2002.
Retour 9
Cf. Marie-Claude Joulia et Vladimir Mitz, L’art thérapie. L’artiste compagon de voyage, L’harmattan, 2003.
Retour 10
Cf. Claude Sternis, Concept Kleiniens et post-Kleiniens dans le travail psychothérapeutique, Article dans pratiques corporelles, 1997.
Retour 11
Cf. D. Anzieu, Le corps de l’œuvre, Gallimard, 1981.
Retour 12
Cf. Gilles Deleuze, Francis Bacon Logique de la Sensation, Seuil, 2002.
Retour 13
Cf. D. Anzieu, Le Moi Peau, Dunod, 1985.
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La grande nouveauté était de faire se rencontrer les parents et les professionnels pour élaborer ensemble un programme éducatif pour leur enfant.
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